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Société Française des Cotons à Coudre

Discours prononcé à l’usine de Celles-sur-Plaine, le 5juin 1950, par André Cartier-Bresson, Vice-Président de la société « Julien Thiriez Père et Fils et Cartier-Bresson », à l’occasion de son départ en retraite.

Mes chers amis,

Au moment où je vais quitter la vice-présidence de notre société et son comité de direction, après avoir passé près de vingt ans dans ce premier poste et vingt cinq dans le second, je désire rappeler que je les ai occupés depuis la fusion en 1924, puis 1931, de la maison CARTIER-BRESSON avec la Maison J. Thiriez Père & Fils, à laquelle, à cette époque, la maison Maurice Frings était déjà réunie depuis la fin de la guerre 14/18.

Cette fusion, je m’en suis occupé de notre côté avec mon cousin Auguste BIOSSE-DUPLAN. C’est dans un même esprit, et d’un même cœur, que nous avons préparé, en nous séparant la besogne, longuement, sérieusement, minutieusement, cette opération qui devait sceller la vie de notre Maison avec celle d’une des plus importantes et des plus respectables firmes de l’industrie textile. Chez MM. Thiriez, c’est avec MM. Julien, Pierre et Léon THIRIEZ, que nous avons particulièrement causé et je tiens à dire, pour les jeunes qui m’écoutent, que c’est dans une atmosphère de pleine confiance et d’estime réciproque que se sont déroulés nos longs pourparlers (commencés en mai 1921, ils ont abouti à nos accords du 18 juillet 1924, sans qu’aucun heurt ne vint jamais les troubler.

Je crois intéressant de rappeler brièvement, pour ceux qui n’étaient pas là à cette époque, les conditions techniques dans lesquelles fut réalisée cette opération qui, pour des raisons fiscales (bénéfices et dommages de guerre) eut lieu en deux phases successives :

1ère phase – en 1924

Liaison d’intérêts par échange d’actions et administrateurs communs. La société « J. Thiriez père et fils » était alors une société en nom collectif au capital de 15 000 000 de F, ayant en portefeuille toutes les actions de la société en commandite par actions « Maurice Frings et Cie » au capital de 6 000 000 F. La « société Française de cotons à coudre, établissements Cartier-Bresson » était une société Anonyme au capital de 9 200 000 F.
Après détermination, au moyen d’expertises, des proportions respectives des deux sociétés dans l’ensemble, cette proportion fut fixée par nos lettres d’accords du 18 juillet 1924 à :
1) J.T.P.F.= 75,269 % 2) C-B = 24,741 %

Pour réaliser cette proportion, J.T.P.F. porta son capital de 15 à 28 000 000 de F, celui de C-B restant à 9 200 000 F ; puis JTPF se transforma en société anonyme et augmenta son capital de 9 200 000 F par l’émission au pair d’actions de 1000 F qui furent souscrites par un groupe d’actionnaires « JTPF » qui les cédèrent au pair aux actionnaires « CB ». Ces derniers, parallèlement, avaient cédé toutes leurs actions à la société JTPF. Six actions seulement furent laissées en dehors pour permettre à la société C-B de continuer à exister.

A la même époque, c’est à dire en novembre 1824, tous les administrateurs de CB devinrent administrateurs chez JTPF, et la société JTPF ainsi que deux de ses administrateurs (MM Pierre et Léon THIRIEZ) devinrent administrateurs chez C-B. C’est à cette date que j’entrai, avec Auguste BIOSSE DUPLAN au comité de direction JTPF.

De 1925 à fin 1930, les deux sociétés gardèrent leur personnalité propre, mais avec une complète liaison d’intérêts, et sous une administration commune. Elles se transformèrent toutes deux successivement en société à responsabilité limitée : JTPF le 1er décembre 1925, C-B le 1er janvier 1927.

2ème phase –19 janvier 1931

Dissolution de la société C-B. – Nouvelle raison sociale : « JTPF & CB » A cette date, les détenteurs des six actions C-B laissées en dehors, les cédèrent à la société JTPF, et la société C-B se trouva dissoute et liquidée du fait que toutes ses parts se trouvaient réunies en une seule main ; c’est ainsi que la société JTPF est devenue propriétaire de tous les biens de la société C-B.
A la même date, et conformément à nos accords de 1924, la raison sociale devint : « J. THIRIEZ père & fils et CARTIER-BRESSON »
C’est alors que je fus nommé vice président du comité des Gérants, M Julien THIRIEZ étant président, et M Pierre THIRIEZ, secrétaire.

Hélas ! des agents actifs de cette fusion, dont je vous ai indiqué les noms, les seuls survivants actuellement sont M Pierre Thiriez et moi-même. En rappelant ces souvenirs, je suis heureux de dire à M Pierre Thiriez combien nous souhaitons conserver longtemps encore le précieux appui de sa grande expérience et de son profond sens des affaires.

Vingt-cinq ans ont passé depuis nos accords et le but que nous avions alors visé, de part et d’autre, a été pleinement atteint. Les résultats ont prouvé qu’en mettant en commun nos installations et nos fabrications, qui se complétaient, en travaillant dans un même esprit, notre union a constitué notre force. Elle nous a permis de mieux résister dans les années de dure concurrence et de vie difficile. Elle nous a permis aussi de mieux nous développer dans les marchés étrangers où le renom de nos marques n’a cessé de croître.

Pendant cette longue période, tragiquement traversée par la terrible secousse de la seconde Guerre Mondiale, les mêmes rapports confiants que je me suis plu à rappeler n’ont cessé de régner entre les Gérants des maisons réunies. C’est un point que je tiens à mentionner car nous ne devons pas oublier, et vous ne devez pas oublier après nous, que, si importante que soit une affaire, le jour où la mésentente s’établit à demeure entre ses chefs, cette affaire est perdue.

Notre affaire qui, jusqu’ici a pu rester une affaire de famille, est vaste et complexe. Elle motive son nombre élevé de Gérants, nombre dont on s’étonne parfois, mais à condition seulement que chacun d’eux défende le poste qu’il occupe par sa valeur et son travail, et cela aussi bien vis-à-vis de notre personnel que de nos associés.

Entre tant de tempéraments différents qui se complètent entre eux, ce qui est un grand avantage, une unité de vues doit s’établir et régner. De plus, sur l’ensemble, doit s’imposer l’autorité d’un homme qualifié à ce poste par ses qualités et son expérience et jouissant de l’estime unanime de ceux qui l’ont porté à la présidence. Il a une grande tâche à remplir et il doit s’y consacrer : c’est, à l’intérieur de notre société, de tout unir, coordonner, harmoniser, et enfin d’arbitrer, si nécessaire.

Nous avons une bonne équipe de jeunes, liés entre eux par une cordiale camaraderie, et nous pouvons avoir confiance en eux. Un devoir pour moi, au moment où je quitte le service actif après cinquante ans passés dans notre industrie, est de saluer pieusement la mémoire des disparus, hélas si nombreux, avec lesquels j’ai travaillé pendant cette longue période de temps.

D’abord mon cher oncle Jean CARTIER-BRESSON, qui, pour moi, remplaça mon père, mort à la tâche à quarante cinq ans, mon cousin Auguste BIOSSE DUPLAN, le père de Jacques, avec lequel j’ai si longtemps travaillé en parfaite union, et ici, dans cette usine de CELLES, je rappellerai le souvenir de mon oncle Charles CARTIER-BRESSON qui, en 1872, à l’âge de dix-huit ans, vint établir notre industrie dans cette vallée, bien modestement pour commencer, à LUVIGNY. Deux ans plus tard, en 1874, mon grand-père Claude CARTIER acheta l’ancienne filature de CELLES, qui fut l’embryon de l’usine actuelle. En 1914, M Charles C-B, maire de Celles, par son courage et son sang-froid, sauva le village et l’usine de Celles.

Je rappellerai la mémoire de mon cousin René Fourchy, le père de Michel, que la guerre de 14/18 nous enleva en même temps que mon frère Pierre, directeur de notre usine de Pantin, de Bernard CARTIER-BRESSON, le père d’Antoine, mort tragiquement en pleine jeunesse. Et, ayant été amené à m’occuper par deux fois de l’usine de Celles, en 1915/1918 et en 39/40, j’ai le devoir de mentionner, parmi tous nos collaborateurs , M. Auguste MOUGEOLLE, le père de Lucien Mougeolle, qui joua ici un rôle capital lorsque, pendant la guerre de 14/18, notre usine continua de travailler sous le canon ennemi.

Je n’oublie pas M. Ferdinand SUZOR, le père de mon vieux camarade et ami Léon Suzor ; puis, après que notre fusion eut élargi le nombre de nos associés, je revois et salue avec émotion les belles figures de Julien et de Léon THIRIEZ, dont je vous ai parlé. Celle de notre cher Léon THIRIEZ fils, emporté si jeune, de M. LEFEVRE si sympathique, et celle de M. MASSE. Enfin celle de M. Maurice FRINGS que nous espérions tant voir centenaire après toute une vie d’activité.

Le souvenir de tous ceux qui nous ont précédés, qui nous on tracé la voie, ne doit jamais être oublié parmi nous, pas plus que celui de nos collaborateurs de tous rangs qui, en si grand nombre, nous ont témoigné leur dévouement et ont concouru à la prospérité de nos établissements.

Certes, malgré tous les efforts qui ont été déployés, il reste beaucoup à faire pour ceux qui nous succèdent. Ils reverront certainement des années difficiles comme nous en avons connues et peut-être même de plus dures encore. Qu’ils se serrent entre eux dans une parfaite union comme je viens de le leur demander, qu’ils mettent tout leur cœur à leur travail et surtout qu’ils n’oublient jamais les traditions d’honneur et de droiture que nous ont léguées ceux qui nous ont précédés.

André CARTIER-BRESSON *

(* né en 1879, donc âgé de 70 ans lors de ce discours de départ, André est l’aîné des fils d’Henri C-B – lui-même fils aîné de Claude Cartier et Lucie Bresson. Il est le père du photographe Henri CARTIER-BRESSON)

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