Histoire de J.T.P.F.

Règlement intérieur dans une entreprise en 1831 (un an avant la création de la filature THIRIEZ)

  1. Piété, propreté et ponctualité font la force d’une bonne affaire.
  2. Notre firme ayant considérablement réduit les horaires de travail, les employés de bureau n’auront plus à être présents que de sept heures du matin à six heures du soir, et ce, les jours de semaine seulement.
  3. Des prières seront dites chaque matin dans le grand bureau. Les employés de bureau y seront obligatoirement présents.
  4. L’habillement doit être du type le plus sobre. Les employés de bureau ne se laisseront pas aller aux fantaisies des vêtements de couleur vive ; ils ne porteront pas de bas non plus, à moins que ceux ci ne soient convenablement raccommodés.
  5. Dans les bureaux, on ne portera ni manteau, ni pardessus, toutefois, lorsque le temps sera particulièrement rigoureux, les écharpes, cache-nez, et calottes seront autorisés.
  6. Notre firme met un poêle à la disposition des employés des bureaux. Le charbon et le bois devront être enfermés dans le coffre destiné à cet effet. Afin qu’ils puissent se chauffer, il est recommandé à chaque membre du personnel d’apporter chaque jour quatre livres de charbon durant la saison froide.
  7. Chaque employé de bureau ne sera autorisé à quitter la pièce sans la permission de M. le Directeur. Les appels de la nature sont cependant permis et pour y céder, les membres du personnel pourront utiliser le jardin en dessous de la grille. Bien entendu, cet espace devra être tenu dans un ordre parfait.
  8. Il est strictement interdit de parler durant les heures de bureau.
  9. La soif de tabac, de vin ou d’alcool est une faiblesse humaine et comme telle est interdite à tous les membres du personnel.
  10. Maintenant que les heures de bureau ont été énergiquement réduites, la prise de nourriture e! st encore autorisée entre 11h 30 et midi, mais en aucun cas le travail ne devra cesser durant ce temps.
  11. Les employés de bureau fourniront leurs propres plumes. Un nouveau taille plume est disponible sur demande chez M. le Directeur.
  12. Un senior désigné par M. le Directeur sera responsable du nettoyage et de la propreté de la grande salle ainsi que du bureau directorial. Les juniors et les jeunes se présenteront à M. le Directeur quarante minutes avant les prières et resteront après l’heure de fermeture pour procéder au nettoyage. Brosses, balais, serpillières, et savon seront fournis par la Direction.
  13. Augmentés dernièrement, les nouveaux salaires hebdomadaires sont désormais les suivants :
    Cadets (jusqu’à 11 ans): 0,50 F - Juniors (jusqu’à 14 ans): 1,45 F - Jeunes: 3,25 F - Employés: 7,50 F - Seniors (après 15 ans de maison): 14,50 F

Les propriétaires reconnaissent et acceptent la générosité des nouvelles lois du Travail,
mais attendent du personnel un accroissement considérable du rendement en compensation de ces conditions presque utopiques.

En complément, ambiance de l'époque :

Au milieu du XIXe siècle, Villermé établit une moyenne de 2 francs par jour pour les hommes, d’un franc pour les femmes, de 0,45 franc pour les enfants de 8 à` 12 ans et de 0,75 franc pour les adolescents de 13 à` 16 ans.
Encore faut-il ajouter que l’insécurité du travail, qui est une donnée fondamentale de l’époque, ampute considérablement ces ressources.
Le taux du salaire peut être brutalement réduit en cas de crise, ou le nombre des heures travaillées diminue sans compensation. Le plus souvent, le retournement de conjoncture provoque un chômage massif.
A Lille, par exemple, 60% des ouvriers du textile se retrouvent à` la « rue » pendant la crise de 1844-1845, les trois quart à Rouen !
Cette insécurité est aggravée par le fait que les « contrats de travail » sont en général inexistants. Comme le dit un ouvrier interrogé par Blanqui, à` Rouen, le travail ne dure que « le temps que l’ouvrier convient au maître et le temps que les ouvriers se conviennent chez le maître ».
C’est pourquoi le moindre impondérable plonge ces travailleurs dans l’indigence :
« Supposez un troisième enfant, le chômage, un mal, le manque d’économies, les habitudes ou seulement une occasion fortuite d’intempérance, et cette famille se trouve dans la plus grande gêne, dans une misère affreuse : il faut venir à` son secours ».
L’indigence, fortuite ou chronique, est en effet une donnée constante pour le prolétariat industriel de cette période. Assistance publique, philanthropes, dames charitables sont particulièrement mis à` contribution pendant les crises.
En 1830, un sixième de la population lilloise est recensé´ comme « indigente ». Dans un quartier de Saint-Sauveur, la proportion atteint 42% en 1849. A Paris, il y a 1 indigent pour un peu plus de 11 habitants en 1831 et encore 1 sur 17 en 1869.
(Source : Gerard Noiriel, Les Ouvriers dans la société française, Seuil, 1986)